Article sur les langues du mardi soir tard

Publié le par Angel Bain

Article sur les langues du mardi soir tard

La lecture de cet article m'a beaucoup appris, notamment sur un sujet que j'aimerais approfondir avec toujours, mon petit sens et mon petit raisonnement : a-t-on le droit de déduire d'une langue des caractéristiques culturelles ?

La question est bien "a-t-on le droit" et pas "peut-on", parce que bien sûr qu'il est possible de déduire d'une langue une façon de réfléchir propre au peuple qui la pratique. La question est de savoir si de telles déductions sont pertinentes d'une part, et légitimes d'autres part.

Plutôt récemment j'ai lu un livre intitulé Poésie du Gérondif de Jean-Pierre Minaudier (le lien est en fin d'article), très intéressant et très drôle, qui offre un panorama plutôt ludique des langues du monde entier et de leurs multiples bizarreries. J'ai également rencontré personnellement l'auteur à l'occasion d'une conférence qu'il a donné au Salon des langues de Gif-Sur-Yvette, alors que je n'avais pas encore lu son livre.

Il évoque à un certain moment la langue du romani - il me semble, ma mémoire n'est pas prodigieuse, en tout cas il s'agissait d'une langue gitane - en disant que les mots de cette langue étaient grammaticalement divisés en deux catégories : les mots romani et les mots issus d'autres langues et incorporés au romani pour désigner des concepts, objets, idées inexprimables par la langue d'origine. Un peu comme nous lorsque nous disons "smartphone" qui vient de l'anglais. Sauf qu'en romani selon JP Minaudier, les deux types de mots suivent deux déclinaisons différentes, les mots "extérieurs" se déclinant suivant le grec ancien. Ce fait rejoint apparemment l'histoire de la communauté nomade, dont l'un des premiers pays de passage aurait été la Grèce ; ils auraient commencé à utiliser des mots grecs et leurs déclinaisons, avant de refaire la même chose avec les autres langues.

Jusque là, nous sommes dans l'histoire des langues, où des informations obtenues par la linguistique sont corroborées par la géographie.

Là où le livre pèche, c'est quand il ajoute "Il est donc logique de voir que la culture gitane est restée conservée très longtemps, tout simplement parce que la grammaire même établit une distinction très forte entre ce qui vient de l'extérieur et ce qui vient de la culture romani."

En effet, il s'agit d'une déduction sur une donnée culturelle par la langue. Etant donné l'humour du livre - et après m'être faite vertement enguirlander pour mon usage de cet argument dans un groupe de lutte contre le racisme - je pense pouvoir me permettre de douter de la pertinence de cette déduction.

Notre langue - ou nos langues si on a la chance d'en parler plusieurs - est ce qui nous permet de penser le monde. Le langage influence donc notre pensée, ce qui a très bien été compris par des gens comme George Orwell qui dans 1984 montre très bien l'usage qui est fait du novlangue pour maîtriser les pensées d'un peuple. "Si le mot n'existe pas, alors tu ne peux pas le penser" c'est la thèse d'Orwell.

Cependant cette théorie trouve ses limites par le fait que notre esprit n'est pas limité par les mots. Nous sommes capables de penser des choses qui n'ont pas de nom, pas de termes pour les exprimer : d'ailleurs, nous inventons des termes pour les exprimer, à l'image du mot "smartphone" qui n'existait probablement pas dans l'anglais et le français d'il y a 20 ans, ce qui n'a nullement empêché des informaticiens malins de l'inventer. Supprimer un mot du dictionnaire ou ne pas l'y admettre n'empêche nullement le peuple de l'utiliser.

De même avec la langue romani : établir une distinction grammaticale entre ce qui vient d'ailleurs et ce qui vient de notre langue peut freiner dans une certaine mesure un contact avec l'altérité, mais ne l'empêche nullement. Nous pensons avec des mots qui viennent des morts, cela n'empêche nullement de les rendre vivants et de les investir de notre individualité ; quelque part, chacun est un poète dans sa langue et l'utilise comme il convient à sa pensée. La langue n'est pas une matrice de pensée, elle n'en est que l'outil. Ce qui compte, c'est ce que l'on fait de cet outil, et la façon dont on l'investit pour l'améliorer. L'outil est témoin des bricolages passés, des influences et des coups qu'il a pu subir, mais ce qui importe, c'est la façon dont on s'en sert.

Ainsi songer que les gitans sont une communauté fermée à cause d'une déclinaison grecque semble presque aussi absurde que de dire que les allemands sont tous de grands philosophes parce que leur langue permet une grande souplesse dans la fabrication de nouveaux mots... ou que les français sont de gros sexistes à cause de leur accord au masculin dominant... ET POURTANT.

Poésie du Gérondif sur Amazon : http://www.amazon.fr/Po%C3%A9sie-g%C3%A9rondif-Vagabondages-linguistiques-passionn%C3%A9/dp/2370550163

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