Petite réflexion sur les transidentités

Publié le par Angel Bain

Image issue de cette page : http://tompouce21.yagg.com/tag/cec/

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Je dois dire que j'en ai un petit peu mon bol rempli à ras. Oui. De voir les gens non-renseignés absolument tout mélanger, racisme, sexisme, transphobie, homophobie... Tout va bien. Oui, ces oppressions ont parfois le même mécanisme. Oui, elles peuvent se recouper de manière particulière. Mais de là à sortir des concepts venus de nulle part qui mélangent des choses qui n'ont rien à voir, alors là, je m'insurge. Notamment quand on vient me parler de "transidentités" comme étant toutes les transgressions des normes sociales établies - genre, race, capacité, âge, et pourquoi pas religion ou opinions politiques tant qu'on y est, quitte à faire dans le YOLO -.

Ca me rappelle mon prof de Littérature qui m'a fait tiquer quand il a dit que Le Cid était une oeuvre qui avait changé de genre (de tragédie à tragi-comédie) et donc transgenre. Arrêtez d'utiliser le terme à toutes les sauces, ça dilue les combats des trans dans celle de la confusion et du fétichisme - du genre "oui moi aussi je suis trans un peu, je met de la sauce soja sur ma pizza végétarienne". Non. Stop. On arrête les conneries et on laisse les personnes trans tranquilles, merci. Non, vous non plus vous n'aimez pas quand on dit de quelque chose qu'il est /insérez une caractéristique qui vous concerne/ alors qu'en fait, ça n'a rien à voir. Bin pour nous c'est pareil. Un peu de respect, s'ils vous plaît.

 

Sans doute ici l'épée tient-elle pour substitut de pénis à une Chimène qui se découvre une âme d'homme transgenre qui n'a jamais dépassé ce manque freudien. Source de l'image : http://www.lefigaro.fr/theatre/2009/05/30/03003-20090530ARTFIG00003-deux-cid-avec-ou-sans-panache-.php 

 

Pour moi les transidentités, le fait d'être transgenre (où genre se situe dans la perspective homme/femme/etc.), n'est absolument pas à mélanger en tant que concept avec d'autres formes de "traversée des limites", parce que ce n'est pas la même chose qui se joue, ce n'est pas le même mécanisme d'oppression, ce n'est plus les mêmes éléments qui entrent en compte et ça peut même carrément devenir dangereux pour la lutte contre les oppressions que subissent les personnes transgenres.

A titre d'exemple, pour moi se sentir d'une autre race que la nôtre n'est pas à mélanger avec le fait de se sentir d'un autre genre que celui auquel on est assigné. En effet, décortiquons le problème :
Au niveau des races, une race est sociologiquement dominante, la race blanche (je parle en terme sociologique). Donc une personne blanche qui se sent d'une autre race que blanche n'est pas dans le même mécanisme qu'une personne racisée qui se sent blanche par exemple. Dans le premier cas, on a les facteurs présents sont la fétichisation des personnes non-blanches, le fait de vouloir s'identifier à une oppression "à tout prix"... Et dans le second cas, c'est plus une volonté d'échapper à l'oppression ou peut-être le fait d'avoir été adopté (vu qu'il y a statistiquement plus de racisés adoptés par des blancs que l'inverse). Tu vois que les raisons sont compliquées et qu'il est difficile de trancher qui à droit, qui n'as pas droit, qui est légitime, qui est illégitime, qui souffre, et qui fétichise (parce que oui, une personne blanche qui s'identifie comme racisée peut du coup être oppressive. D'autant que je n'ai pas parlé du cas de racisé qui s'identifie à une autre "race" racisée, chose pour laquelle je n'ai honnêtement aucune idée. On pourrait aussi parler des personnes métisses qui s'identifient à deux races...).

L'affaire Rachel Dolezal est un exemple de transracialisme : de blanche, elle s'est "fait passer" ou "se sentait" noire. Source de l'image http://www.tvqc.com/2015/06/rachel-dolezal-le-triomphe-du-delire/ (article extrêmement problématique par ailleurs et dont je ne soutiens absolument pas les analyses, mais je cite toujours les sources de mes images). 

Au niveau du genre, on est dans une société tellement découpée en case homme/femme, tellement essentialiste, que de toute manière, que ce soit de assigné homme vers femme, ou d'assigné femme vers homme, ou toutes les nuances entre les deux, on subit une oppression, même s'il y a le prisme femme dominée/homme dominant dans notre société. Une personne assignée homme qui se sent femme n'est pas dans la fétichisation du corps de la femme (le plus souvent, des exceptions ça arrive) mais subit de la transmisogynie justement parce qu'elle s'identifie à une femme et subit de la transmisogynie pour ça. Un homme trans ne cherche pas à "devenir le dominant", justement parce qu'il est oppressé par le fait même qu'il soit transgenre. Une personne non-binaire ne fétichise pas l'andogynie ou que sais-je, simplement parce que le fait d'être non-binaire la-le place directement dans une nouvelle catégorie de personnes identifiées par la société comme "mauvaises pour l'ordre social". Il existe un pan entier de l'instrument d'oppression de notre société envers les femmes, et envers les personnes racisées, mais il en existe aussi un tout entier dédié aux personnes transgenres, alors qu'il n'en existe pas ou quasiment pas pour les personnes transraciales. Cet appareil d'oppression est même tout à fait officiel et inscrit dans notre société (le fait qu'on fasse la différence entre M. Mme, F et M sur TOUS les papiers), et elle est présente partout. Ensuite, les personnes transgenres se retrouvent en général visibles, et quand elles le sont, elles subissent des préjudices (allant sur une échelle de la grimace de dégoût au meutre pur et simple).

Les autres "transidentités" qui existent, qui ne sont pas forcément à mon sens à condamner, mais qui ne sont pas à mélanger avec les transidentités "de genre", parce que ce n'est pas le même problème, ni le même mécanisme.

 

J'ai pris l'exemple du transracialisme mais j'aurais pu en prendre un autre (le transabléisme par exemple, le fait de se sentir handicapé alors qu'on est valide). 

 

 

Les autres "transidentités" n'en sont pas justement parce qu'elles ne créent pas de groupe social qui partage les mêmes oppressions et (partiellement) les mêmes revendications.

 

(Sinon vous avez le droit de mettre de la sauce soja sur une pizza végétarienne hein !)

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V
En effet maintenant que je te lis, je me rappelles avoir moi aussi entendu il y a quelques années 2 de mes prof de français/littérature employé le terme "transgenre" en parlant de genres littéraires..... C'est dingue.<br /> <br /> A part ceci, j'avais déjà pu constater l'existence du transracialisme sans pour autant connaitre cette appellation, par contre je suis étonné.e d'apprendre l'existence du transabléisme!<br /> <br /> Et vive la sauce Soja!!!
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A
Merci de ton commentaire ^^ Le transabléisme existe, mais est très peu connu (beaucoup moins que le transracialisme) surtout parce qu'il met en place d'autres ressorts qui sont (pour le coup) vraiment liés à des problèmes psychiatriques (j'avais notamment vu passer un article sur une femme qui s'est aveuglée elle-même car elle était persuadée de "devoir être aveugle"... je ne veux pas juger mais je trouve que là on est vraiment face à un problème psychologique grave). Alors que le transracialisme me semble beaucoup plus lié à la fétichisation des corps et de la culture noire/asiatique/arabe/etc. ou bien à la frustration sociale d'une personne racisée soumise à une pression sur son corps. Après n'étant ni racisé, ni réellement handicapé, c'est difficile de te répondre en connaissance de cause ; cependant lors de l'affaire Dolezal, j'ai vu plusieurs personnes racisées monter au créneau pour dire que c'est problématique qu'elle s'identifie comme noire et que ça perpétue une oppression, donc j'ai tendance à prendre leur parti même si j'avoue qu'il vaudrait mieux laisser une personne racisée t'en parler. <br /> <br /> Pour faire simple, disons que transracialisme est plus un problème social, transabléisme est plus un problème psychologique particulier. D'ailleurs ce dernier me fait souvent douter de moi-même quand je m'identifie comme neuroatypique (ça et la représentation souvent douteuse des personnes neuroatypiques comme des asociales incapables de s'adapter aux autres).